"Naître en pleine guerre, c'est ce que Zohra Sabil a fait. Le bébé avait fait irruption en pleine nuit, ayant réveillé ses frères, sa soeur, sa grand-mère et même son père. Personne n'avait fait attention à cette grossesse, après tout les signes avaient été quelques peu minces. Et en tant de guerre, on a d'autres choses à faire que de se préoccuper de menus changements dans son apparence physique. Le prénom avait été donné par son grand frère Ahmed, lui qui rêvait de revoir de jolies fleurs, il pourrait en voir une tous les jours..." Belle histoire que mon éditrice adore raconte, n'est-ce pas? Bien sûr, celle-ci a embellit certains traits. Je suis bien née en Irak en 1982 pendant la guerre qui opposait l'Irak à l'Iran. Toutefois, mon prénom a été choisit par mon père. Et la vérité est que mon père a donné le premier prénom qui lui passait dans la tête, soit celui de son ancienne maîtresse.
Ma famille était d'une classe moyenne et survivait comme elle le pouvait à cette guerre, qui, je le rappelle, a fait d'énormes pertes. Mes frères, bien plus âgés ont alterné entre l'école à la maison avec mon père et l'école avec la maîtresse. Tout dépendait du climat qui régnait. Pour faire simple, mes frères et ma sœur ont eu une instruction si alternée que Yasmina a eut du mal à lire de manière aisée. Ce fut au final mon grand frère Ahmed qui m'appris en partie à reconnaître l'alphabet écrire certains mots. Ce travail fut continué par l'un de mes autres frères. En effet, Ahmed avait décidé de devenir un enfant soldat afin de protéger notre pays contre les Iraniens. Comme à chacun de ses enfants, Allah offrit à mon frère l'accès au paradis, où l'attendaient les nombreuses vierges qui lui étaient promises.
La guerre ne s'est arrêtée qu'en 1988. J'avais alors 6 ans. On imagine pas à quel point la guerre peut vous changer une vie. J'étais née dans une époque où les gens mourraient autour de nous. Notre pays était mort, mais nous avions gagnés. Tout en ayant perdu énormément. On pleurait nos pères, nos frères, nos cousins, nos morts. Je pensais souvent à mon grand-frère Ahmed, parti trop tôt combattre l'Iran, ce pays qui nous avait amené à notre perte. Puis la vie d'avant guerre, celle que je n'avais connu, avait repris son cours. Pour ne jamais oublier cette époque, ma mère m'avait alors confié un carnet pour que je puisse y noter les évènements qui pouvaient compter pour moi. Carnet qui se retrouvera accompagné de dizaines d'autres carnets dans le même genre. Mais j'y reviendrais plus tard.
Mon entrée en classe se fit sans trop d'encombres. Mes frères qui me restaient m'avaient bien aidés tout comme ma soeur. Je m'étais bien acclimatée à mes camarades. Il paraît que les enfants se font à tout. Après tout, nous n'avions connus que la guerre, alors un cadre de paix apportait une fraîcheur à notre nouveau quotidien. Une
qui s'arrêta dès 1990 par la guerre du Golfe.
Février 1991 mon père, ma sœur Yasmina, ainsi que Nouri, Hilal moururent le 13 février 1991. D'eux, il ne restera plus rien. Il ne me restait alors ma mère, ma grand-mère et mon grand frère Jal. Cette guerre se termina quelques jours après, sans qu'il n'y ait de véritables gagnants. Nous avions été trahis par les USA, l'un de nos plus puissants alliés nous avait attaqués dans le dos. De mes yeux d'enfants, l'incompréhension était née. Avant je comprenais, maintenant je me sentais complètement en décalage et surtout, bien seule. La famille si nombreuse était désormais réduite à 4 membres. Les disputes incessantes de Yasmina et de ma mère, la douceur de Nouri, les discussions endiablées de Jal et d'Hilal ne semblaient désormais qu'être de vieux hits dépassés, faisant place à de nouvelles chansons plus actuelles, mais qui étaient loin de me plaire. Dorénavant, la musique qui émanaient de cette ancienne maison si bruyante était ce silence assourdissant. On vivait comme et parmi des morts qui n'étaient même plus présents en cette demeure si joyeuse dans le passé. Pour faire face à cette maison presque fantomatique, je noyais mes pensées dans ces précieux carnets. Je relisais même parfois mes écrits en me rappelant ma vie d'avant et ma vie d'après.
Ce n'est que l'année d'après que mon frère avait décidé (puisqu'il était devenu le chef de famille suite à la disparition des autres hommes de la famille) qu'on irait s'installer dans un autre pays. Selon lui, rester en Irak, c'était rester dans des douloureux souvenirs. Il fut décidé, par ses soins, que nous nous installerions aux Etats-Unis
Le changement fut assez brutal, il faut le dire. Parler arabe avec ses petits camarades ce n'était pas une mince affaire. Seul mon frère savait parler l'anglais basique. Au contraire de ma mère, de ma grand-mère ou même de moi. L'erreur que commis mon frère fut de nous regrouper avec la communauté arabe, certes très accueillante, mais loin d'être entièrement d'accord. Bah oui, les Irakiens n'avaient pas bonne réputation en 1991 et gniagniagnia nous étions les méchants et j'en passe. De plus, nous ne pensions qu'à nous regrouper encore plus dans ce cocon rassurant, loin des Américain. Le deuxième plus gros changement fut le regard qu'on nous lançait. Nous portions par notre faciès le statut d'étranger. De même que le voile que les femmes de ma famille portaient. Tous les Américains nous regardaient de travers, nous étions devenus une minorité.
Mon expérience avec la langue anglaise fut quelque peu houleuse. En effet, de manière assez surprenante je ressentais une certaine amertume face aux Américains, et je m'étais bloquée sur l'apprentissage de la langue de ce fabuleux pays. Mais face à la stature imposante de mon frère et des difficultés que rencontraient ma mère et ma grand-mère, j'avais cédé. Étant trop vieilles, elles avaient du mal à apprendre cette nouvelle langue et mon frère ne pouvait se permettre de les aider. Et puis, après tout, c'était le rôle des femmes d'aller faire des courses pour toute la famille. J'étais devenue, et suis encore, leur traductrice.
Les années passant, j'étais devenue beaucoup plus indulgente et reconnaissante envers les Etats-Unis. J'avais quitté un pays qui m'avait plus ou moins bien accepté, mais qui, m'avait apporté beaucoup de choses comme mon éducation. Mon rapport avec la religion avait évolué. Enfin, jusqu'aux attentats. Faut-il que je précise ce qui s'est passé ? Ce qui nous est arrivé à nous, la communauté arabe, après ce tragique évènement qui a remué à la terre entière ? Déjà que personne n'arrivait à différencier un Iranien d'un Irakien, tout le monde nous mettait dans le même panier.
"Terroristes!" qu'ils nous hurlaient dessus. Mais cet évènement a justement renforcé ma foi pour Allah. Je demandais pardon pour ces horreurs, que notre dieu leur pardonne leurs injures, qu'il les bénisse au contraire. C'est durant cette même année, en cherchant dans des cartons, que je retrouvais mes précieux carnets que j'avais peu à peu arrêté d'écrire lors de mon apprentissage avec la langue. Mon frère me les avait enlevé, et les avait cachés dans le but que je m'investisse à utiliser la langue anglaise. Retrouver mes souvenirs d'enfance, ces écrits arabes me fit revivre ces moments passés en Irak. Merveilleuse et cruelle nostalgie que tous ces souvenirs rangés dans un coin sombre de mon esprit.
Ces précieux carnets furent la base de mon premier livre à succès publié lors de mes 20 ans. D'anonyme, j'étais devenue une sorte de célébrité. Ma maison d'édition m'avait alors demandé de publier d'autres écrits, qui furent eux aussi appréciés. Jusqu'à la guerre d'Irak en 2003. Mon positionnement contre les USA pour envahir l'Irak n'avait pas plut aux américains. Mes livres qui s'étaient vendus jusqu'alors comme des petits pains, avaient été boudés par le public. Mais cette courte notoriété m'avait fortement marquée. On m'avait proposé de changer de nom afin que je puisse vendre. Non, je n'étais pas Romain Gary, je ne souhaitais pas savoir si je pouvais vendre en ayant un autre pseudonyme. Non! Je savais très bien ce que je valais! On avait fini par cesser de m'inviter, sauf lorsqu'il était question de la position de la femme dans la religion musulmane et le port du voile. Mais même là, on ne voulait plus de moi. Je ne plaisais plus. On m'avait aimé à 20 ans. A 25 ans, j'étais bonne pour la poubelle. La chute fut rude.
Mon éditrice, qui avait des contacts m'avait proposé un boulot dans l'édition. J'y passais plus de 7 ans à mâcher, la plupart du temps, des navets. Les romans à l'eau de roses, d'héroïc fantasy ou encore rabâchant que les étrangers devaient retourner là d'où ils venaient faisaient un carton. On était loin d'une qualité à faire face à toutes épreuves. Face à toute cette médiocrité, et à certaines relations, je m'envolais pour un travail de journaliste pour travailler sur une rubrique religieuse... Qui fut quelque peu ennuyeux à mourir. Jusqu'à ma rencontre avec une nouvelle collègue qui m'avait éblouie comme jamais on ne me l'avait fait. Cette naturalisée s'était liée avec moi et m'avait aidé à me rendre compte que la rubrique sur laquelle je travaillais n'était pas faite pour moi. Par ses conseils avisés et justes, je me ralliais à son avis et fut bien plus épanouie dans mon travail, sans toutefois l'être entièrement. Cette nouvelle recrue apportait un brin de fraîcheur dans ma vie, tout comme dans le lieu de travail. J'avais retrouvé, par sa rencontre un regain d'énergie et d'intérêt pour l'écriture. Je fis publier la nouvelle qui, bien que scandaleuse, eut un petit succès. Je devais avouer que cette femme était devenue ma muse.J'étais loin de me douter que celle-ci était bien plus pour moi.
Nous eûmes un semblant d'histoire qui débuta en 2017 et qui s'arrêta à mon initiative il y a de cela quelques mois. Madame voulait du sérieux, être officialisée, présentée à toute ma famille et tout le tintamarre. Et cela faisait des années que je m'y opposais. De plus, je la soupçonnais d'être en partie responsable de mon manque cruel d'inspiration. Les disputes m'avaient pourries tout le potentiel que j'avais en moi. Elle avait tout gâché. Grâce à elle j'avais retrouvé et perdu mon don pour l'écriture. Mes brouillons étaient depuis l'année dernière, médiocres, tous, sans exception.
Hier, on m'a donné une requête, celle d'aller étudier une affaire mystérieuse à Philadelphie. J'acceptais, m'éloigner de la demoiselle me ferait le plus grand bien. Me changer les idées m'aiderait à avancer et peut-être que l'inspiration me reviendrait enfin. Je prenais mon carnet, mon stylo et mon magnétophone et partais en direction de Philadelphie.